samedi 22 août 2015

Remake, reboot ou seconde édition ?

Mais de quoi on parle ?

Depuis plusieurs années, une des tendances à Hollywood est de produire avec plus ou moins de succès des "reboots", c’est-à-dire de relancer des franchises de films en repartant sur de nouvelles bases. Ils sont à différencier des "remakes", qui sont quant à eux la nouvelle version d'un film plus ancien. En d'autres termes, un reboot est le remake d'une suite de longs-métrages en trouvant leur propre ton et leur propre style. Les reboots concernent tout type de film, de la science-fiction (Star Trek) à l’horreur (Freddy, Massacre à la tronçonneuse, Vendredi 13) en passant par les films de super-héros. Mais cette démarche est-elle transposable pour les jeux de rôle ?

Reductio ad Batman

L’exemple le plus parlant (et le plus réussi) de la réappropriation de ses propres films par Hollywood concerne Batman. Si on fait exception de la série télévisée des années 60 ainsi que des futurs "Dawn of Justice" et "Suicide Squad", le Chevalier noir et son adversaire le plus iconique, le Joker, sont traités spécifiquement dans deux films : le premier "Batman" de Tim Burton et "The Dark Knight" de Christopher Nolan.

écryme

ATTENTION, pour ceux qui ne les ont pas vus, IL VA Y VOIR DU SPOILER (et accessoirement, allez-vous jeter du haut d’une falaise, pour peu que vous existiez).

Dans les deux cas, nous avons un super-héros masqué qui se bat contre le Jocker. Dans le film de Burton, la forme est résolument gothique, décalée et proche du conte. De son côté, Nolan se focalise sur les sacrifices d’un homme qui veut devenir un héros et sur la vision que la société construit de ses tentatives. Une même histoire en apparence donne des résultats diamétralement différents.

En premier lieu, l’esthétique diffère. Les deux Gotham ne se ressemblent pas. L’une synthétise les arts gothique et nouveau pour dépeindre un lieu fantasmé, où l’anormalité des protagonistes s’inscrit dans l’architecture. L’autre dépeint une ville américaine tentaculaire mais "réaliste", où la corruption prend la forme d’une criminalité omniprésente. La Batmobile élancée devient un hummer proche du tank. La musique aérienne, sombre et lyrique de Danny Elfman passe à celle urbaine et presque tribale de Hans Zimmer.

Enfin, le traitement de l’histoire diffère totalement. Tim Burton tutoie le conte en tuant le "méchant" et en faisant survivre la "princesse". Mais, il injecte une telle dose de noirceur et de surréalisme qu’il pervertit son matériau avec jubilation. Sa réalisation est souple et mouvante. Dans "The Dark Knight", le méchant vit et d’une certaine manière gagne. La "princesse" ne choisit pas de suivre le héros et meurt. Le traitement se veut réaliste et quasiment politique. Les plans de Nolan sont extrêmement cadrés, presque documentaires.

Dans ces deux très bons films, les choix des réalisateurs ont donc totalement impacté l’expérience proposée aux spectateurs. Et d’un même matériau, ils tirent des thématiques très différentes.

Ecryme


Qu'est-ce qui change entre le jeu de rôle et le cinéma ?

Dans un jeu de rôle, les éléments qui permettent de créer et de personnaliser une "expérience de jeu" sont appelé des éléments de "gameplay". Cet anglicisme tiré du jeu vidéo renvoie à l'expérience ludique des joueurs, mêlant jouabilité et plaisir de jeu. Les éléments constitutifs du gameplay d'un jeu de rôle sont (entre autre et dans le désordre) : 
  • Un univers : un angle d'attaque, un cadre de jeu, le texte, son agencement, sa narration, les aventures "type" qu'on peut y vivre, les illustrations, des outils d’appropriation...
  • Des règles : un modus operandi, l'agencement, le rythme, des exemples, des conseils d'application, de la pédagogie...
  • Un éventuel suivi : écran, scénarios, suppléments visant à prolonger et élargir les propositions du jeu...
Ces éléments sont pensés pour retranscrire les intentions des auteurs, c’est-à-dire comment ils aimeraient qu'on joue à leur jeu. Ou plutôt l'inverse. Comment leur jeu induit tel ou tel comportement qui retranscrira ce qu'ils ont en tête. Même si chaque table de joueurs est différente, ces éléments devraient permettre de vivre des expériences analogues et d'avoir des ressentis plus ou moins similaires.

"Rebooter" ces éléments est donc possible. Il suffit de saisir "l'esprit d'un jeu" et de le questionner, de le réinterpréter et de changer ce qui doit l'être en fonction du constat et des intentions des nouveaux auteurs. 

Cela a été réalisé par exemple par la fine équipe de John Doe qui s'est frottée au monument ludique qu'est Bloodlust.



  • Le Bloodlust de Croc (mais aussi de GE Ranne et Stephane Bura) se voulait violent, décomplexé et centré sur les armes dieux.
  • Bloodlust Métal (le reboot donc) est, dès la couverture plus feutré, avec des armes dieux moins omnipotentes et des implications géopolitiques plus complexes.
A nouveau, il n'est nullement question de comparer les avantages et défauts de ces deux univers à l'esthétique et l'ambiance très différentes (ce qui se voit dès la couverture), aux deux systèmes de règles et à un suivi pensés différemment. 

Et pour Écryme ?

Au moment de travailler sur Écryme, nous ne souhaitions pas sortir le même jeu que celui de 1994. Deux décennies venaient de s'écouler et les manières de jouer avaient évolué. Nous voulions proposer quelque chose de neuf, tout en conservant l'essence du jeu : une dystopie industrielle à réenchanter. Un jeu "low steampunk" qui lorgne plus du côté des Misérables que de Sisi impératrice. Un monde onirique, poétique et vivant avec de la grogne sociale et où les inventions - même les plus farfelues - restent limitées par l'écryme. Nous avons été encouragés à suivre cette voie par Mathieu Gaborit.


ecryme


Nous avons donc fait des choix de gameplay afin de retranscrire notre ton. Plusieurs éléments ont été modifiés pour nous permettre de nous réapproprier le jeu. C’est en cela que nous parlons plus volontiers de reboot que de remake ou de seconde édition.

Voici la liste des éléments les plus notables:
  • Nous avons donné une cohérence globale à cet univers qui s'était décliné en jeu de rôle et en romans, avec des différences notables entre les deux. Même si parfois, cela s'est fait au dépend de la poésie propre à Mathieu Gaborit qui se nourrit des excès.
  • Nous avons voulu un jeu jouable. Tous les éléments qui n'apportaient rien de concret, même s'ils étaient "beaux", ont été enlevés.
  • Nous avons déterminé un vrai angle d’attaque qui permet d'entrer sur la Toile autrement que par le biais "d'aventuriers vivant des aventures". 
  • Nous avons voulu un jeu qui évolue au fil du temps. Nous avons ainsi mis en place les niveaux qui sont des balises très légères le long d'un parcours initiatique, comme dans Hurlements ou Scales.
  • Nous avons voulu des secrets simples (éviter la multiplication des plans à l’intérieur des plans), fournis dès le départs aux maîtres du jeu.
  • Nous avons créé un système qui met l'accent sur les émotions et la manière de leur donner corps.
  • Nous avons mis en place un vrai ciment de groupe qui prendra la forme d'une feuille d'expérience commune. Chaque joueur pourra y apporter ses propres idées, permettant à chaque groupe d'Écryme d’être unique.
  • Nous avons voulu que la finalité d'Écryme se résume à cette simple phrase : donner vie à ses idéaux.
Et pour illustrer notre propos, le relais de l'Affrevie en 1994 et en 2016.

écryme


Dans notre prochain article, nous détaillerons notre démarche à partir d'un exemple très concret : la réécriture des scénarios de l'ancienne version d'Écryme.

D'ici, passez une belle semaine.

Samuel & Alexandre


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire